Des années plus tard, mon père se prendra de passion pour l’affaire Fouad Ali Saleh, il se remettra à écrire dans la presse lors de son procès, il tiendra une chronique judicaire pour un journal libanais. Ce sera la seule et unique fois qu’il écrira sur un sujet « politique ». Est-ce d’avoir été presque touché par deux des attentats de Fouad Ali Saleh qui l’ont rendu obsessionnel sur ce sujet ? Ou de voir l’influence de l’Iran et du Hezbollah derrière cet homme ? Peut-être de voir la guerre du Liban le poursuivre jusqu’à Paris ? Il ne répond jamais à mes questions quand je les lui pose. Il fait comme s’il ne m’entendait pas. Il n’aime jamais revenir sur ses écrits.
J’ai retrouvé des pages et des pages de notes dans ses cartons à propos de Fouad Ali Saleh, dont la liste d’attentats qu’il a commis avec le nombre de morts et de blessés marqués dans une liste sans titre que je retrouverai telle quelle sur Wikipédia :
– 7 décembre 1985 : explosions aux Galeries Lafayette Haussmann et au Printemps Haussmann à Paris (quarante-trois blessés) ;
– 3 février 1986 : explosion à la galerie marchande du Claridge, avenue des Champs-Élysées à Paris (un mort, huit blessés) ;
– 3 février 1986 : découverte d’une bombe artisanale dans les toilettes du troisième étage de la tour Eiffel à Paris (aucune victime) ;
– 4 février 1986 : explosion suivie d’un incendie à la librairie Gibert Jeune, place Saint-Michel à Paris (cinq blessés) ;
– 5 février 1986 : explosions dans le troisième niveau du Forum des Halles et à la Fnac Sport à Paris (vingt-deux blessés) ;
– 17 mars 1986 : explosion dans le compartiment à bagages de la voiture six du TGV 627 Paris-Lyon (neuf blessés) ;
– 20 mars 1986 : explosion dans la galerie Point Show, avenue des Champs-Élysées à Paris (deux morts, vingt-neuf blessés) ;
– 20 mars 1986 : découverte d’une bombe artisanale dans une voiture d’une rame de la ligne A du RER, station Auber à Paris (aucune victime) ;
– 4 septembre 1986 : découverte d’une bombe artisanale dans une voiture d’une rame de la ligne A du RER, station Étoile à Paris (aucune victime) ;
– 8 septembre 1986 : explosion dans le bureau de poste 113 situé dans le bâtiment de l’Hôtel de ville à Paris (un mort, vingt-et-un blessés) ;
– 12 septembre 1986 : explosion dans la cafétéria Casino située dans le centre commercial Les Quatre Temps à Paris (cinquante-quatre blessés) ;
– 14 septembre 1986 : explosion dans le pub Renault, rue Marbeuf à Paris (deux morts, un blessé) ;
– 15 septembre 1986 : explosion dans le service des permis de conduire de la préfecture de police de Paris (un mort, cinquante-six blessés) ;
– 17 septembre 1986 : explosion rue de Rennes à Paris face au no 140, près du magasin Tati (sept morts, cinquante-cinq blessés).
Fouad est né à Paris dans une famille tunisienne, il s’est radicalisé lors d’un séjour en Libye puis s’est retrouvé à la tête, après différents voyages entre l’Iran et la France, du réseau logistique du Hezbollah libanais en France. J’avais proposé à des journaux français de revenir sur l’histoire de ces attentats mais on m’avait répondu qu’ils étaient « trop libanais ». J’avais ri. Des attentats qui avaient causé la mort de quatorze citoyens français et en avaient blessé plus de trois cents ne suffisaient pas à en faire un sujet « français ».
Mon père a écrit un début de pièce inspiré du procès de Fouad Ali Saleh intitulé : Je m’appelle la mort de l’Occident, une pièce documentaire comme il l’a écrit sur la couverture. Il avait ajouté : « Tous les dialogues sont vrais. »
À sa lecture, j’ai eu comme un sentiment de déjà-vu, de sujets d’actualité alors que je n’avais que trois ans quand ce procès s’est déroulé. Lors de la première séance, face à la cour, Fouad Ali Saleh, lunettes rondes, veste marron foncé, chemise blanche, avec dans la main un Coran, hurlait avant même qu’on déclare l’audience ouverte : « Le Hezbollah vous massacrera ! L’Occident crèvera de la main de l’Islam. Préparez vos cercueils ! Vous êtes les bourreaux des musulmans, les assassins des musulmans. À mort l’Occident criminel ! » Il regardait ensuite le substitut et poursuivait : « Ferme-la, toi ! Les juifs et les chrétiens n’ont pas le droit de parler quand un musulman s’exprime. L’Islam fera ta mort, Dieu t’écrasera. Assassin, fils de porc, bourreau ! Tu manges comme un porc, tu as déchiré le Coran ! Va au diable ! » Il concluait en s’adressant au président de la cour : « Fils d’un chrétien et d’une juive, je suis là pour t’écraser. Tu n’as pas le droit de parler. Tu crèveras comme un porc. Va au diable, va en enfer, je te poursuivrai, j’irai profaner ta tombe, je construirai des chiottes sur ta tombe ! Porc ! Juif ! Chrétien ! Porc ! Juif ! Chrétien ! Porc ! Juif ! Chrétien ! Porc ! Juif ! Chrétien ! »
Lors d’une séance suivante, l’échange entre le président de la cour et lui semble tout droit sorti d’un mauvais sketch. Je comprends pourquoi mon père a eu besoin de retranscrire ces échanges dans une pièce de théâtre. Ils sont tellement effrayants qu’ils en deviennent comiques.
Le président de la cour
Vous vous appelez Fouad Ali Saleh.
Fouad Ali Saleh
Je m’appelle la mort de l’Occident !
Le président de la cour
Vous êtes né en 1958 à Paris. Vous allez
répondre devant ce tribunal d’association
de…
Fouad Ali Saleh
C’est pas un tribunal ça ! C’est une
loge maçonnique… Je m’appelle Abbas
Moussaoui,
comme le dirigeant du Hezbollah, tué au
Liban par les sionistes.
Le président de la cour
Votre profession ?
Fouad Ali Saleh
Combattant terroriste.
Le président de la cour
Votre adresse ?
Fouad Ali Saleh
La planète Terre.